• LE CHAT ET LES POETES

    "Hautain, libre, mystérieux, voluptueux, babylonien, impersonnel, il est l'éternel compagnon de la supériorité et de l'art - incarnation de la beauté parfaite et frère de la poésie - le chat doucereux, grave, savant et patricien."
    H.P. Lovecraft (1890-1937)

    Nombreux sont les poètes qui ont écrit sur les chats. Je n'ai retenu ici que les poèmes qui me plaisent particulièrement.

    Le plus célèbre poète ayant les félins comme source d'inspiration reste sans doute CHARLES BAUDELAIRE (1821-1867). Dans "Les fleurs du mal", il écrit plusieurs textes à leur propos.

    LES CHATS
    Les amoureux fervents et les savants austères
    Aiment également, dans leur mûre saison,
    Les chats puissants et doux, orgueil de la maison,
    Qui comme eux sont frileux et comme eux sédentaires.

    Amis de la science et de la volupté,
    Ils cherchent le silence et l'horreur des ténèbres;
    L'Èrèbe les eût pris pour ses coursiers funèbres,
    S'ils pouvaient au servage incliner leur fierté.

    Ils prennent en songeant les nobles attitudes
    Des grands sphinx allongés au fond des solitudes,
    Qui semblent s'endormir dans un rêve sans fin;

    Leurs reins féconds sont pleins d'étincelles magiques,
    Et des parcelles d'or, ainsi qu'un sable fin,
    Ètoilent vaguement leurs prunelles mystiques.

    LE CHAT
    Dans ma cervelle se promène,
    Ainsi qu'en son appartement,
    Un beau chat, fort, doux et charmant.
    Quand il miaule, on l'entend à peine,

    Tant son timbre est tendre et discret;
    Mais que sa voix s'apaise ou gronde,
    Elle est toujours riche et profonde.
    C'est là son charme et son secret.

    Cette voix, qui perle et qui filtre
    Dans mon fonds le plus ténébreux,
    Me remplit comme un vers nombreux
    Et me réjouit comme un philtre.

    Elle endort les plus cruels maux
    Et contient toutes les extases;
    Pour dire les plus longues phrases,
    Elle n'a plus besoin de mots.
    Non, il n'est pas d'archet qui morde
    Sur mon coeur, parfait instrument,
    Et fasse plus royalement
    Chanter sa plus vibrante corde,

    Que ta voix, chat mystérieux,
    Chat séraphique, chat étrange,
    En qui tout est, comme en un ange,
    Aussi subtil qu'harmonieux !
    "Le chat", section I, Les fleurs du mal.

    De sa fourrure blonde et brune
    Sort un parfum si doux, qu'un soir
    J'en fus embaumé, pour l'avoir
    Caressée une fois, rien qu'une.

    C'est l'esprit familier du lieu ;
    Il juge, il préside, il inspire
    Toutes choses dans son empire ;
    Peut-être est-il fée, est-il dieu ?

    Quand mes yeux, vers ce chat que j'aime
    Tirés comme par un aimant,
    Se retournent docilement
    Et que je regarde en moi-même,

    Je vois avec étonnement
    Le feu de ses prunelles pâles,
    Clairs fanaux, vivantes opales,
    Qui me contemplent fixement.

    "Le chat", section II, Les fleurs du mal.


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  • CHARLES CROS (1842-1888), poète et inventeur, parla lui aussi du chat dans son oeuvre poètique, qui tient, pour l'essentiel, en deux recueils : "Le coffret de santal" (1873) et "Le collier à griffes" (publié en 1908, soit 20 ans après sa mort).

    A UNE CHATTE
    Chatte blanche, chatte sans tache,
    Je te demande, dans ces vers,
    Quel secret dort dans tes yeux verts,
    Quel sarcasme sous ta moustache.

    Tu nous lorgnes, pensant tout bas
    Que nos fronts pâles, que nos lèvres
    Déteintes en de folles fièvres,
    Que nos yeux creux ne valent pas

    Ton museau que ton nez termine,
    Rose comme un bouton de sein,
    Tes oreilles dont le dessin
    Couronne fièrement ta mine.

    Pourquoi cette sérénité?
    Aurais-tu la clé des problèmes
    Qui nous font, frissonnant et blèmes,
    Passer le printemps et l'été?

    Devant la mort qui nous menace,
    Chats et gens, ton flair, plus subtil
    Que notre savoir, te dit-il
    Où va la beauté qui s'efface,

    Où va la pensée, où s'en vont
    Les défuntes splendeurs charnelles? ...
    Chatte, détourne tes prunelles;
    J'y trouve trop de noir au fond.

    Le coffret de santal


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  • PAUL ELUARD (1895-1952), pilier du surréalisme, a aussi sa vision du chat :

    CHAT
    Pour ne poser qu'un doigt dessus
    Le chat est bien trop grosse bête.
    Sa queue rejoint sa tête,
    Il tourne dans ce cercle
    Et se répond à la caresse.

    Mais, la nuit l'homme voit ses yeux
    dont la pâleur est le seul don.
    Ils sont trop gros pour qu'il les cache
    Et trop lourds pour le vent perdu du rêve.

    Quand le chat danse
    C'est pour isoler sa prison
    Et quand il pense
    C'est jusqu'aux murs de ses yeux.


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  • Le chat fait également partie de l'univers de JACQUES PREVERT (1900-1977) :

    LE CHAT ET L'OISEAU
    Un village écoute désolé
    Le chant d’un oiseau blessé
    C'est le seul oiseau du village
    Et c’est le seul chat du village
    Qui l'a à moitié dévoré
    Et l'oiseau cesse de chanter
    Le chat cesse de ronronner
    Et de se lécher le museau
    Et le village fait à l'oiseau
    De merveilleuses funérailles
    Et le chat qui est invité
    Marche derrière le petit cercueil de paille
    Où l’oiseau mort est allongé
    Porté par une petite fille
    Qui n’arrête pas de pleurer
    Si j’avais su que cela te fasse tant de peine
    Lui dit le chat
    Je l’aurais mangé tout entier
    Et puis je t’aurais raconté
    Que je l’avais vu s'envoler
    S'envoler jusqu’au bout du monde
    Là-bas où c'est tellement loin
    Que jamais on n'en revient
    Tu aurais eu moins de chagrin
    Simplement de la tristesse et des regrets

    Il ne faut jamais faire les choses à moitié.

    Histoires et d'autres histoires.


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  • Le poète et écrivain belge MAURICE CARÊME (1899-1978) célèbre le chat à sa façon :

    LE CHAT ET LE SOLEIL
    Le chat ouvrit les yeux
    le soleil y entra
    le chat ferma les yeux
    le soleil y resta

    voila pourquoi le soir
    quand le chat se réveille
    j'aperçois dans le noir
    deux morceaux de soleil

    L'Arlequin

    SOIR DE DECEMBRE
    Ce soir de décembre
    Est si triste
    Qu'on ose à peine respirer.
    On entend doucement le disque
    De la pleine lune tourner.

    Et sous l'aiguille de la bise
    Meurt et renaît, le long des toits,
    Une longue plainte que brise
    Le miaulement bref d'un chat.

    La grange bleue


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